Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec des lunettes vertes, qui, ne pouvant imaginer que des objets verts, en concluraient que nécessairement tous les objets sont verts. J’appelle cette nécessité subjective, entendant par là qu’elle a pour cause la construction de notre esprit ; j’entends par subjectivité une nécessité de croire provenant, non de la nature des choses, mais de la nature de notre pensée ; et, selon moi, cette nécessité doit nous faire douter des axiomes. » M. Cousin change les termes de Kant. Il répond triomphalement : « Selon vous, la connaissance de cette nécessité doit nous faire douter des axiomes[1]. Eh bien, j’ai découvert un cas où l’on n’a pas cette connaissance. On ne l’a qu’après avoir réfléchi. Donc on ne l’a pas en commençant et lorsqu’on n’a pas encore réfléchi. Donc il y a des cas où cette connaissance n’est pas subjective, et dans lesquels on ne peut douter des axiomes. Vous voyez, mon pauvre Kant, que votre système tombe en ruine ; c’est que je me suis enfoncé dans l’intimité de la conscience, à un degré où vous n’avez pas pénétré[2]. »

Je me suis quelquefois représenté le sentiment d’horreur qui eût pénétré Condillac et les analystes du dix-septième siècle, s’ils avaient lu cette pré-

  1. Kant parle de cette nécessité, et non de la connaissance qu’on en a.
  2. L’équivoque est présentée avec une hardiesse naïve page 59 du Vrai, du Beau et du Bien.