Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/122

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le style vague et allemand convient à ces effusions lyriques ! Les abstractions s’entre-choquent ; des formes obscures passent devant l’imagination troublée ; dans le cerveau s’agite et roule une ronde d’êtres métaphysiques, grandioses et vides, poésie confuse et sublime que réclament toutes les jeunes têtes d’Allemagne, et qui, avec la bière, suffit pour les remplir à vingt ans. Nous étions un peu Allemands, en 1828, lors des célèbres leçons que je citais tout à l’heure ; on y courait comme à l’Opéra, et en vérité c’était un opéra. L’impétueux orateur amenait sur le théâtre et faisait défiler en une heure Dieu, la nature, l’humanité, la philosophie, l’industrie, l’histoire, la religion, les grands hommes, la gloire et bien d’autres choses encore ; cette symphonie chantée par un seul homme donnait le vertige, et les esprits, habitués aux tranquilles dissertations des sensualistes, s’inclinaient, comme devant un révélateur, devant le poète qui peuplait leur imagination de ces prodigieux fantômes, et les entraînait, éblouis, dans un monde qu’ils n’avaient pas soupçonné. Depuis, M. Cousin s’est refroidi. Il a dépouillé sa poésie, il est resté simple orateur ; son style est devenu plus mesuré ; et cependant sa jeunesse parfois lui revient ; il s’enflamme encore ; on sent alors qu’il oublie ses auditeurs ; il voit son idée se lever devant lui ; il s’éprend d’amour pour elle ;