Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/130

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sertait ; chez Mme d’Épinay, on sut causer. On mit en mots piquants les questions graves ; la philosophie resta profonde, et devint enjouée. Le ton gai et le style moqueur lui donnèrent des ailes. Elle vola par toute l’Europe, et fit ce que vous savez.

Avec le style lourd, l’esprit oratoire produit le style plat. Les vérités moyennes sur lesquelles il s’exerce sont les lieux communs ; et, comme il les développe, il les rend plus communs encore. Ils étaient nouveaux alors, et semblaient intéressants ; aujourd’hui ils répandent un mortel ennui. Personne ne peut lire Boileau, sinon à titre de document historique ; ses dissertations sur le vrai, sur l’honneur, sur le style, ressemblent aux amplifications d’un écolier laborieux et fort en vers. Les romans de Mlle Scudéri sont d’une longueur infinie et d’une fadeur étonnante ; elle met une page à expliquer ce que nous dirions en un mot. Quittez les grands hommes, écoutez les conversations, lisez les lettres de tout le monde ; vous ne concevrez pas qu’on ait pu écouter sans bâiller des choses si vides. L’emploi du style régulier et des mots généraux contribuait encore à effacer l’originalité des idées ; souvent une remarque ordinaire, écrite en style familier ou tournée en manière de paradoxe, amuse ; mais alors le tour familier eût paru bas, et le tour paradoxal eût semblé choquant. On évitait l’un et l’autre, et le grand Condé faisait des