Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/132

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dant ; nous aurions l’air de roturiers admis dans la bonne compagnie par grâce ou par mégarde, émerveillés de cet honneur extrême, grossissant aux yeux de nos amis notre bonne fortune, agenouillés en public devant nos nouveaux patrons. Suffit-il de les montrer partout comme nobles, héroïques, généreux, pleins d’éloquence, de vertu et de génie ? La société que peint M. Cousin est une aristocratie, et la haute naissance, il est vrai, enseigne la fierté, parfois la grandeur d’âme, toujours l’élégance et les belles manières ; avec la richesse elle donne la sécurité, le loisir, le goût pour les occupations de l’esprit ; elle fait des hommes du monde, des hommes de guerre, des hommes de cour, et quelquefois des hommes de cœur. Mais elle enfante l’orgueil de rang et les mœurs d’antichambre, et ce côté de la médaille valait bien la peine d’être montré. On ne peut imaginer, avant d’avoir lu les mémoires originaux, dans quel abîme de petitesses cet orgueil a précipité la noblesse. Saint-Simon cite deux duchesses qui, s’étant disputées le pas dans une cérémonie publique, s’injurièrent, se poussèrent du coude, et, à la fin, « en vinrent aux griffes.» On sait le nombre infini de disputes, de négociations, de traités en règle que produisirent les questions de tabouret. Présenter la chemise au roi et aux princes, obtenir le bougeoir, faire des visites de deuil en mante ou sans mante, avoir le droit de s’enrhu-