Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/22

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romiguière. Il passait devant la Sorbonne vers 1824, et un jeune étudiant de sa connaissance, qui sortait d’un cours célèbre, l’arrêtait, le prenait par le bouton de la redingote, et lui parlait ainsi :

« Bonjour, cher monsieur, comment vous portez-vous ? Êtes-vous toujours sensualiste, immoral et athée ?

— Comment ?

— Oui ; vous n’admettez pas que la raison soit une faculté distincte ; vous attaquez les idées innées ; vous dites qu’une science parfaite n’est qu’une langue bien faite. Vous renouvelez Condillac ; donc vous ne pouvez croire ni à la vérité, ni à la justice, ni à Dieu »

— Bon Dieu !

— Oh ! je sais ce que vous allez dire ; vous séparez l’attention de la sensation, vous restituez quelque degré d’activité à l’âme. Palliatif inutile. Au fond, vous êtes du dix-huitième siècle ; votre philosophie détruit la dignité de l’homme ; vous êtes réduit au matérialisme ou au scepticisme. Choisissez.

— Je vous remercie, mais je ne choisis pas.

— C’est que vous êtes inconséquent. Le sensualiste nie la raison, qui est la faculté de connaître l’absolu. Donc il détruit les preuves de l’existence de Dieu, qui est l’absolu. Donc il détruit les principes de la science, qui sont des vérités absolues.