Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/224

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des journaux, l’affluence du public, l’intérêt de parti, le sentiment de la gloire, le transportaient jusqu’au génie. Ses yeux noirs pétillaient d’éclairs. Ses traits, ses bras, son corps, tout parlait. Son discours étudié prenait l’accent d’une improvisation sublime ; la philosophie l’illuminait. À ses gestes multipliés, à ses changements de physionomie, aux inflexions de sa voix, il semblait qu’il voulût sortir de lui-même. Dardées par ce visage net et par cette bouche expressive, les pensées prenaient un corps, devenaient visibles, pénétraient dans l’auditeur, le domptaient, le possédaient, le livraient aux coups de théâtre, aux effets de style, aux mouvements de passion, aux surprises de méthode. Emporté par le tourbillon métaphysique, assiégé de visions intenses, il tressaillait et croyait. Un vieux magistrat de province, sceptique, positif, et qui donnerait pour une poularde l’infini, le fini et leur rapport, m’a répété que tout le monde était sous le charme. « Quand ce diable d’homme nous disait : « Voyez-vous ? » quoi que ce fût, on croyait voir. » Le lendemain, à la réflexion, c’était autre chose ; l’admiration seule restait entière, et on allait à un autre cours.

On trouvait là un homme maigre, un peu voûté, les épaules saillantes, comme tous les poitrinaires ; les yeux d’un bleu pâle, profondément enfoncés