Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/232

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cœur. Professeur, destitué, sain, malade, dans les montagnes du Dauphiné, dans sa petite chambre de la rue du Four, M. Jouffroy s’acharna à ses recherches ; peu importait le pays, le rang, la santé, à celui que poursuivait et remplissait une idée fixe et unique ; tous les accidents de la scène et de la décoration extérieure glissaient sur lui sans le pénétrer. Il était si possédé de sa passion, qu’il l’apercevait en tout le monde et l’imposait au genre humain ; le fond de l’homme, à ses yeux, est la connaissance de la vérité morale. « Il veut savoir le mot de toutes les énigmes qu’on se pose sur le tombeau de ceux qui ne sont plus, et qui reviennent si souvent dans le cours de la vie, à l’heure de la douleur, de l’injustice, de la maladie, en présence de la nature, dans l’obscurité des nuits sans sommeil, et jusque dans les rêves. Il veut le savoir parce qu’il n’y a point pour lui de repos autrement. »

Ce savoir, il le tira de lui seul. Les esprits concentrés sont aussi insensibles à l’opinion des autres qu’aux objets extérieurs ; ils vivent en dehors du monde social comme en dehors du monde physique ; ni les hommes ni les choses n’ont prise sur eux. Ils inventent tout ce qu’ils pensent, et ils créent tout ce qu’ils sont ; ils sont originaux comme le vulgaire est imitateur, par nature ; ils aiment l’indépendance comme le vulgaire aime l’autorité, par instinct. Ils marchent mieux et plus volontiers