Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est invulnérable, et bien au-dessus de nos coups[1]. « Je ne comprends pas que, prenant le scepticisme corps à corps, on prétende démontrer que l’intelligence humaine voit réellement les choses telles qu’elles sont. Comment ne s’aperçoit-on pas que cette prétention n’est autre chose que celle de démontrer, l’intelligence humaine par l’intelligence humaine ? ce qui a été, ce qui est et ce qui sera éternellement impossible. Nous croyons le scepticisme à jamais invincible, parce que nous regardons le scepticisme comme le dernier mot de la raison sur elle-même. » Ses amis m’ont raconté qu’une fois, ayant entrepris de prouver la spiritualité de l’âme, il passa involontairement trois mois à décrire les nerfs, le cerveau, les effets moraux des blessures et des contusions cérébrales, à décomposer les actions de l’esprit, à comparer les deux ordres de faits, et qu’enfin, obligé de conclure, il déclara que la science n’était pas assez avancée et qu’on ne pouvait rien dire. D’autres aussi avaient douté d’abord ; une fois dans les hautes places ils quittaient le doute, et croyaient de par leur habit brodé. M. Jouffroy fit mieux. Avec une modestie très-fière peut-être[2], il déclara qu’il n’entendait point la théorie de Spinoza sur la liberté, et qu’après une étude attentive, il ne pouvait expliquer la liaison de sa métaphysique et

  1. Mélanges, p. 219. — Cours de droit naturel, etc.
  2. Cours de droit naturel, p. 184, 199, 209.