Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/273

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— Donc, selon vous, il n’y a que des faits et des apparences, point d’essences ni de causes.

— Au contraire. Seulement, nous ne les mettons pas au même endroit que vous. Certains faits sont la cause des autres ; certains faits sont l’essence des autres. Il y a des essences et des causes ; mais ces essences et ces causes ne sont que des faits. Tout le mouvement de la science consiste à passer des faits apparents aux faits cachés, des faits produits aux faits producteurs.

Daignez considérer sans prévention une de vos théories ordinaires, celle de M. Royer-Collard et des Écossais sur la perception extérieure. Que disent-ils ? Que l’objet excite une sensation dans notre main froissée, et qu’à la suite de la sensation nous concevons et affirmons l’objet. J’en savais autant avant de les lire. Le maître de philosophie de M. Jourdain lui apprenait à peu près la même chose, quand il lui révélait que la conversation est de la prose, et que pour dire U, il faut faire la moue. Pénétrez au delà de ce fait apparent. Supposez, par exemple, que[1] la perception extérieure soit une hallucination vraie. Voilà un fait nouveau, caché sous le premier, et dont le premier n’est que l’apparence. On découvre une vérité importante, singulière même, en apprenant que les arbres, les

  1. Voy. chapitre II, § 3.