Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/296

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chine entière ; de même dans ce vaste univers, peuplé de tant d’êtres différents, non-seulement nous croyons que chacun de ces êtres agit selon sa nature, mais encore que son action importe à celle de l’ensemble. Pas plus que moi, ce caillou qui roule sous mes pieds n’a été créé en vain ; sa nature lui assigne, comme à moi, un rôle dans la création. Et si ce rôle est obscur, s’il est moins beau, moins considérable que le mien, il n’en est pas moins rempli, et n’en concourt pas moins au but que le créateur s’est proposé en laissant échapper le monde de ses mains[1].

À l’instant, les propositions que nous avons réfutées prennent un sens nouveau. Une destinée n’est plus un fait périssable, subordonné aux causes extérieures. C’est un décret de Dieu ; or, un décret de Dieu ne peut manquer de s’accomplir ; s’il ne s’accomplit pas ici-bas, il s’accomplira ailleurs ; puisque mes aspirations infinies seront contentées, et ne peuvent l’être dans la vie présente, elles le seront dans la vie future ; il y a donc une vie future. — D’autre part, Dieu est juste. Or, il ne serait pas juste, si la destinée qu’il nous impose ici-bas dépendait d’autre chose que de nous-mêmes. Mais il n’y a qu’une chose qui soit entièrement en notre pouvoir, et ne dépende que de nous-mêmes ; c’est la vertu. Donc notre destinée présente n’est autre que l’exercice de la vertu.

  1. Mélanges, p. 387.