Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/297

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Grâce à ce changement de sens, tout est retourné, réparé et démontré.

Mais, par un triste hasard, ce changement de sens qui rend vraies les dernières propositions de M. Jouffroy rend les premières fausses ; or, les dernières dépendent des premières ; de sorte que tout croule, et qu’il n’y a plus rien debout.

En effet, reprenez ces premières propositions : « Tout être a une fin. Cela signifie maintenant : En créant un être, Dieu a eu quelque but en vue. » — Je n’en sais rien[1], ni vous non plus. Nous ne sommes point ses confidents. Il faut une témérité de théologien pour lui prêter des habitudes d’architecte, et surtout pour tirer de ces habitudes une morale. Vous n’avez point cette témérité ; vous déclarez expressément[2] que la morale ne dépend pas de la théodicée ; qu’on conçoit le bien sans concevoir Dieu ; que le « principe de finalité » est un axiome primitif, et non une conclusion théologique. Ainsi traduit, non-seulement il est douteux, mais encore vous le rejetez. Or, il faut le traduire ainsi pour qu’il puisse fonder votre morale. Qu’est-ce donc que votre morale va devenir ? « La fin d’un être est son bien. » Cela signifie maintenant : « En créant un être, Dieu se propose

  1. Opinion de Descartes.
  2. Cours de droit naturel, 2e leçon, p. 50.