Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/308

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passionnée et délicate ; il aurait trop senti et trop souffert. Il évita la politique, et ne vint aux élections que par conscience. Il était marié et jouissait, en homme solitaire, des affections de la famille. Addison, Pope, Swift, le visitaient ; plus tard, Hume lui présenta son Traité de la nature humaine. Pour rétablir sa poitrine attaquée, il passa deux ans en Italie, puis en France. Il y vit M. Cousin, chargé d’années et de gloire, dernier père de l’Église, successeur admiré de Bossuet. Tous deux eurent une conférence, et M. Cousin, habitué à l’empire, s’étonna de rencontrer un esprit si original et si libre ; quoique un peu choqué, il l’estima et ne tenta point de le convertir. De retour en Angleterre, M. Jouffroy étudia les œuvres de l’illustre prédicateur français ; il le jugea moins observateur que logicien, moins logicien qu’orateur, moins orateur que politique. Néanmoins, le prédicateur et le philosophe entretinrent longtemps un commerce d’éloges réservés et de discussions polies. Leurs amis considéraient avec curiosité l’opposition parfaite de leurs natures, et un soir, dans la petite maison, on s’amusa fort en écoutant Pope, cervelle bizarre, qui, par un jeu d’imagination, transformait M. Cousin en philosophe, le plaçait au dix-neuvième siècle, et lui donnait pour disciple M . Jouffroy.