Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/307

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plus abondant, il détermina l’origine des idées qui restait vague, ajouta au quatrième livre plusieurs recherches sur les signes, étudia longuement les sentiments sympathiques, et devança Adam Smith et Condillac. Élevé, comme tous ses contemporains, dans le style exact et simple, il put noter ses idées avec vérité et avec précision. L’air n’était encore épaissi ni par l’emphase nuageuse du dix-neuvième siècle, ni par la poussière des abstractions germaniques. M. Jouffroy vécut à l’abri du style obscur et sublime ; ses phrases restèrent libres de généralités et de métaphores, et il ne fut point tenté d’étudier, au lieu des idées et des sensations, « les capacités et les facultés. »

Il vécut retiré, presque toujours à la campagne, dans une petite maison, au pied d’une colline, près d’une jolie rivière murmurante, dans son comté de Kent. On lui offrit une place de professeur à Cambridge ; il refusa, aimant mieux penser par lui-même, et jugeant qu’un enseignement officiel n’est jamais assez libre. Sa gravité, son honnêteté, sa gloire parurent considérables au parti whig, et les chefs lui proposèrent une place au parlement. Après un peu d’hésitation, il refusa encore ; non qu’il dédaignât les honneurs : au contraire, il y était secrètement très-sensible ; mais il s’était jugé. Les rudes apostrophes, les dénonciations, la vie militante de la Chambre auraient brisé sa nature