Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/315

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ments, on avait des raisonnements. De là l’idéologie. Les philosophes, occupés à satisfaire le besoin du siècle, vérifiaient les idées en les ramenant à leur origine, exilant toutes les notions obscures ou douteuses, reliant les connaissances claires et certaines par une filiation si simple et des notations si exactes, que la philosophie parut une extension de l’algèbre, et que Condillac crut avoir chiffré les opérations de l’esprit.

Les grandes inclinations publiques sont passagères ; parce qu’elles sont grandes, elles se contentent ; et parce qu’elles se contentent, elles finissent. Comme une vague qui grossit, s’enfle, soulève toute la mer, puis s’abaisse et décroît insensiblement jusqu’à s’aplanir sans laisser de traces, on vit l’esprit analytique, positif et critique, s’élever sous Voltaire, monter au comble sous les encyclopédistes, puis s’atténuer et s’effacer. Vers 1810, la dernière ondulation s’arrêtait. On était allé jusqu’au bout de l’analyse, de la défiance et de la critique. Il n’y avait plus rien à faire dans cette voie, et l’on n’y faisait plus rien. Les vers sortaient du cerveau de Delille aussi parfaits et aussi vides que s’ils eussent été frappés par le balancier d’une machine. L’Institut venait de couronner sur la tête de La Harpe la critique régulière et plate, et les esprits les plus fins ne faisaient que retourner ou expliquer le Traité des sensations et la Langue des