Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/316

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calculs. M. Laromiguière fut visiblement le dernier de ces maîtres. À la délicatesse infinie, aux grâces soutenues, aux nuances choisies de son style, on reconnaît le rayon pâle et charmant d’un jour affaibli qui s’éteint. Déjà quelques grandes pensées de Condillac ne semblaient plus comprises ; on ne parlait plus de ses découvertes sur la nature de l’âme, ou sur la perception extérieure, et l’ingénieux professeur, qui essayait de le corriger et de le ranimer, réduisait toute la philosophie à la distinction puérile de l’idée claire et de l’idée vague, de la connaissance attentive et de la connaissance involontaire, de la formule et de l’impression.

Les contentements trop grands se tournent en dégoûts, et la victoire engendre la révolte. Les hommes du dix-huitième siècle avaient joui de la défiance comme d’un progrès, et de la critique comme d’une découverte ; après eux, la critique cessa d’être une découverte, et la défiance d’être un progrès. Ils avaient pris plaisir à ruiner un mauvais bâtiment ; le bâtiment ruiné, on s’affligea de ne plus voir que des ruines. Élevés dans la foi, les pères avaient douté ; élevés dans le doute, les fils voulurent croire. Rousseau se leva, autorisant le sentiment, consacrant l’idéal, proclamant l’invisible, et la moitié du public le suivit. On vit paraître Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Staël, M. de Chateaubriand. Le parti du sentiment devint celui