Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/318

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d’idéal » et au rêve. Composé d’expressions élevées et grandioses, il contente le besoin d’élévation et de grandeur. Composé d’expressions philosophiques, il semble introduire partout la philosophie. On l’employa, parce qu’on était rêveur, sublime et philosophe. Bientôt ce fut un débordement. Les horribles substantifs allemands, les mots longs d’une toise, noyèrent la prose nette de d’Alembert et de Voltaire, et il sembla que Berlin émigré fût tombé de tout son poids sur Paris.

Le rêve et l’abstraction, telles furent les deux passions de notre renaissance : d’un côté l’exaltation sentimentale, « les aspirations de l’âme, » le désir vague de bonheur, de beauté, de sublimité, qui imposait aux théories l’obligation d’être consolantes et poétiques, qui fabriquait les systèmes, qui inventait les espérances, qui subordonnait la vérité, qui asservissait la science, qui commandait des doctrines exactement comme on commande un habit ; de l’autre, l’amour des nuages philosophiques, la coutume de planer au haut du ciel, le goût des termes généraux, la perte du style précis, l’oubli de l’analyse, le discrédit de la simplicité, la haine pour l’exactitude ; d’un côté la passion de croire sans preuves ; de l’autre la faculté de croire sans preuves : ces deux penchants composent l’esprit du temps. René, Manfred, Werther, Jocelyn, Olympio, Lélia, Rolla, voilà ses noms ; j’en citerais