Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/317

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de tout le monde. Personne ne s’étonna en voyant Mme de Staël prêcher l’exaltation et l’enthousiasme. Personne ne se scandalisa en voyant M. de Chateaubriand recommander le christianisme à titre d’agréable, changer Dieu en tapissier décorateur, et répondre à la géologie nouvelle que le monde fut créé vieux. Ils séduisaient en faisant contraste. La force maîtrisait la France et brisait l’Europe ; excepté dans les sciences de faits sensibles et de quantités chiffrées, toute pensée était méprisée ou proscrite. Dans cette servitude des esprits et des corps, c’était un honneur, une vertu, un refuge et une révolte que de rêver[1].

On rêva donc, « et beaucoup plus qu’assez. » Mais, pour la première fois au monde, la rêverie fut métaphysique. On n’est point impunément fils de son père ; en le contredisant, on le continue ; les gens de 1820 maudissaient les philosophes de 1760, et les imitaient. S’ils avaient perdu les habitudes d’analyse, ils avaient gardé là passion de la métaphysique ; ils étaient à la fois sentimentaux et systématiques, et demandaient des théories à leur cœur. Cela produisit un style singulier, inconnu jusqu’alors en France, le style abstrait. Composé d’expressions vagues, il convient au « besoin

  1. Voy. l’ Allemagne de Mme de Staël, principalement les préfaces. — M. de Lamartine, Discours de réception à l’Académie.