Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/339

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leurs yeux et de leurs lèvres, on voit travailler leurs cervelles. Parfois les bougies s’éteignent au beau milieu d’un raisonnement ; ils le continuent en brandissant des allumettes. Souvent l’un reconduit son ami ; arrivé, celui-ci reconduit l’autre, et ainsi de suite, eux toujours causant, avec une franche amitié et de la meilleure foi du monde, sans jamais disputer, tellement que chacun prend à l’occasion l’opinion de son adversaire et lui fournit des arguments. Je vais chez eux chaque semaine ; ils me permettent de les écouter ; quelquefois même ils veulent bien me donner des conseils, dont je sais mal profiter.

M. Pierre a soixante ans, une petite tête spirituelle et sereine, des traits nets vivement coupés, des yeux souriants et perçants, un beau front uni, un peu fuyant, régulièrement encadré par des lignes géométriques de cheveux gris, rien de maladif, d’inquiet, d’âpre ou de vague, comme dans nos figures modernes. Il a la démarche agile, et pourtant égale, sans hâte ni saccade, en homme dont l’âme saine et gaie se tient d’elle-même en action et en équilibre sans enivrement, ni abattements, ni efforts. Fort attentif aux bienséances, il est soigné, quoique simple sur sa personne. On le voit quelquefois au Jardin des Plantes, chez M. Brongniart, à l’École de médecine, chez M. Denonvilliers : ce sont les deux cours qu’il préfère ;