Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/366

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d’illuminations subites, mais plus souvent inquiet et souffrant, comme d’un homme fatigué par la contention d’une pensée opiniâtre, et qui attend.

Il se tait volontiers et laisse parler les gens qui sont avec lui ; il est extrêmement tolérant, patient même, ne cherchant point à prendre le premier rôle ni à imposer ses idées. Il y a, pour ainsi dire, en lui, deux personnages : l’homme de tous les jours, qui est le plus conciliant du monde et presque timide ; et le philosophe rigide dans ses dogmes comme une chaîne de théorèmes ou comme une barre d’acier. Lorsqu’il parle, il bégaye d’abord et répète plusieurs fois les mêmes mots ; ses phrases sont embarrassées ; il ne regarde pas son interlocuteur en face ; il ressemble à ces oiseaux aux grandes ailes qui ont peine à prendre leur vol. Il n’a pas d’esprit ; il ne trouve jamais de mots piquants ; sa conversation n’a aucune souplesse ; il ne sait pas tourner autour d’une idée, l’effleurer, s’en jouer. Quelle qu’elle soit, il s’y abat de toute sa force, pénètre jusqu’au fond, y travaille à coups de définitions et de divisions, comme s’il s’agissait de percer un roc métaphysique. Il n’a qu’une allure et qu’une faculté ; ni les choses ni les idées ne semblent le toucher, à moins qu’il n’y trouve une vue d’ensemble ; alors elles le touchent jusqu’au cœur. Il a besoin d’apercevoir beaucoup d’objets d’un seul coup ; il en ressent comme un agran-