Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/367

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dissement subit ; et il a goûté tant de fois ce plaisir intense, qu’il n’y en a plus d’autres pour lui.

Il avait une grande place et l’a quittée pour garder ses opinions. Beaucoup moins riche que son ami, il fut obligé longtemps de donner des leçons pour vivre. C’était une chose triste et touchante que de voir ce puissant esprit, déchu de hautes fonctions qu’il honorait, se rabaisser à l’enseignement de la grammaire, et relire Burnouf pour sa répétition du matin. Il a rempli plusieurs années ce devoir en conscience. Personne n’a plus d’empire sur soi-même ; ses élèves n’ont jamais cru l’ennuyer : il lisait leurs thèmes avec le même soin qu’un volume d’Hégel. Il est très-fier, très-silencieux, très-dévoué, et, selon le vulgaire, très-chimérique. Je ne crois pas qu’il songe une fois par semaine aux intérêts d’argent et de place. Cette noblesse d’âme va jusqu’à la naïveté ; il traite les autres sur le même pied que lui-même, et leur conseille ce qu’il pratique : suivre sa vocation, chercher dans le grand champ du travail l’endroit où l’on peut être le plus utile, creuser son sillon ou sa fosse, voilà, selon lui, la grande affaire ; le reste est indifférent.

Il a publié l’histoire d’une célèbre école philosophique ; c’est son seul ouvrage : le reste dort en lui, enseveli par les exigences du métier et par la volonté de trop bien faire. Ce livre, composé d’à-