Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/390

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vés de l’analyse française, emportés tout d’abord au sommet de la prodigieuse pyramide dont ils n’avaient pas voulu gravir les degrés, ils sont tombés d’une grande chute ; mais dans cette ruine, et au fond de ce précipice, les restes écroulés de leur œuvre surpassent encore toutes les constructions humaines par leur magnificence et par leur masse, et le plan demi-brisé qu’on-y distingue indique aux philosophes futurs, par ses imperfections et par ses mérites, le but qu’il faut enfin atteindre et la voie qu’il ne faut point d’abord tenter.

C’est à ce moment que l’on sent naître en soi la notion de la Nature. Par cette hiérarchie de nécessités, le monde forme un être unique, indivisible, dont tous les êtres sont les membres. Au suprême sommet des choses, au plus haut de l’éther lumineux et inaccessible, se prononce l’axiome éternel, et le retentissement prolongé de cette formule créatrice compose, par ses ondulations inépuisables, l’immensité de l’univers. Toute forme, tout changement, tout mouvement, toute idée est un de ses actes. Elle subsiste en toutes choses, et elle n’est bornée par aucune chose. La matière et la pensée, la planète et l’homme, les entassements de soleils et les palpitations d’un insecte, la vie et la mort, la douleur et la joie, il n’est rien qui ne l’exprime, et il n’est rien qui l’exprime tout entière. Elle remplit le temps et l’espace, et reste au-dessus du