Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/47

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du monde matériel. Mais pour apprécier cette durée, pour la soumettre à la mesure, il faut la faire remontera à sa source ; c’est là seulement qu’elle rentre dans notre puissance, en retombant sous l’observation de nos facultés. Nous ne durons pas seuls ; mais dans l’ordre de la connaissance, toute durée émane de celle dont nous sommes les fragiles dépositaires. La durée est un grand fleuve qui ne cache point sa source, comme le Nil dans les déserts, mais qui n’a ni source, ni rives, ni embouchure. Ce fleuve coule en nous, et c’est en nous seulement que nous pouvons observer et mesurer son cours.

La démonstration acharnée finit par une accumulation d’images, magnifiques. C’est un vainqueur qui, sur ses ennemis tombés, étale la pourpre éclatante de son manteau. Involontairement et sans cesse, il aboutit au grandiose. Comme Bossuet, il s’y trouve bien. Il y revient comme dans la patrie ; il achève de gagner par l’admiration les convictions qu’il a maîtrisées par la preuve. Des flots de métaphores jaillissent au milieu de son raisonnement sans le noyer ni le briser. Qu’il soit dans une tribune ou dans une chaire, il imagine. Il dira à la Chambre des pairs : « On déporte les hommes ; les lois fondamentales d’un pays ne se laissent pas déporter. — Les fleuves ne remontent pas vers leur source ; les événements accomplis ne rentrent pas dans le néant. » Il disait à la Sorbonne : « A mesure que la réflexion retire la causalité que l’ignorance avait ré-