Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/56

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térieure. Si on cherche autre chose, on est sûr de trouver autre chose. Un philosophe atteint toujours son but. Rien de plus pliant que les faits ; rien de plus aisé qu’un système. L’histoire de la philosophie en offre trente ou quarante, très-bien faits, très-plausibles, avec lesquels on peut justifier le pour, le contre et les opinions intermédiaires. Êtes-vous dégoûté des affirmations ? Entrez ici ; voici Ænésidème et Hume. Êtes-vous dégoûté du doute ? Passez là-bas : voilà Platon et Reid. Les faits sont des soldats ; le but est le général, qui les mène du côté qui lui plaît, ici contre l’affirmation, là contre le doute. Toujours ils obéissent. Le bon général est celui qui les laisse aller d’eux-mêmes, sans contrainte, vers le terme où leur nature les pousse, qui constate ce terme et ne le choisit pas, qui les regarde marcher, qui ne leur prescrit pas leur marche, et qui, au moment d’entrer dans l’examen de la perception extérieure, se parle ainsi :

Je fais deux parts de moi-même : l’homme ordinaire, qui boit, qui mange, qui fait ses affaires, qui évite d’être nuisible, et qui tâche d’être utile. Je laisse cet homme à la porte. Qu’il ait des opinions, une conduite, des chapeaux et des gants comme le public : cela regarde le public. L’autre homme, à qui je permets l’accès de la philosophie, ne sait pas que ce public existe. Qu’on puisse tirer de la vérité des effets utiles, il ne l’a jamais soup-