Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/84

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Ainsi le moi n’est plus ce tout indivisible et continu dont nos idées, nos plaisirs, nos peines sont les parties composantes, isolées par fiction et par analyse. C’est une force ou faculté, portion du tout, mise à part, élevée au-dessus de toutes les autres. Le reste est mon bien : celle-ci est moi.

« Le moi identique et constant s’attribue à lui-même les modes variables et successifs de l’activité qui le constitue. Personne une, individuelle et libre, je ne suis pour moi-même ni un pur abstrait, ni un assemblage de sensations, quand j’aperçois et juge la sensation, quand je fais sa part et la mienne propre[1]. »

Et cent autres phrases pareilles. Vous voyez que pour lui la volonté est un être persistant et distinct. Cet être est une force qui agit sur les idées et sur les mouvements, les continue, les suspend, les répète et les reprend par elle-même et par elle seule. Ainsi fait un bâton d’ambre. Portez-le sur un duvet de plumes légères ; elles s’attachent à lui et il s’en couronne ; tout à l’heure elles tomberont ; d’autres prendront leur place. Seul le bâton subsiste avec sa force attractive, et il est la seule chose solide dans tout le bouquet.

De là mes obscurités et mes difficultés. Je ne pouvais m’habituer à considérer la volonté comme

  1. Tome IV, p. 207, 208 et 211.