Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/107

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Prince étoit fort pauvre[1], mais c’étoit un grand honneur que d’avoir pour gendre le premier prince du sang.

Le Roi, dans sa passion, fit toutes les folies que pouvoient faire les jeunes gens, quoiqu’il eût cinquante-trois ans ou environ. Il couroit la bague avec un collet de senteurs et des manches de satin de la Chine.

Le roi obtint une fois de madame la Princesse qu’elle se montreroit un soir tout échevelée sur un balcon avec deux flambeaux à ses côtés. Il s’en évanouit quasi, et elle dit : « Jésus ! qu’il est fou ! » Elle se laissa peindre pour lui en cachette ; ce fut Ferdinand qui fit le portrait. M. de Bassompierre l’emporta vite après qu’on l’eut frotté de beurre frais, de peur qu’il ne s’effaçât ; car il fallut le rouler pour le porter sans qu’on le vît. Quelques années après, madame la Princesse, croyant que Ferdinand avoit oublié cela, ou bien n’y songeant plus, lui demanda un jour quel portrait de tous ceux qu’il avoit faits en sa vie lui avoit semblé le plus beau. « C’est, dit-il, un qu’il fallut frotter avec du beurre frais. » Cela la fit rougir.

M. le Prince, qui voyoit que l’amour du Roi étoit fort violente, emmena sa femme à Muret auprès de Soissons. Le Roi ne put être long-temps sans la voir. Il va avec une fausse barbe à une chasse où elle devoit être. M. le Prince en a avis et remet la partie à une autre fois. À quelques jours de là le Roi fait que M. de Traigny, un seigneur de ces quartiers-là, convie M. le Prince et madame la Princesse à dîner, et lui se cache derrière une tapisserie, d’où, par un trou, il la voyoit

  1. On dit qu’il n’avoit en fonds de terre que dix mille livres de rente. (T.)