Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/316

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répliqua Patru en se moquant, c’est grand dommage que vous n’ayez pu instruire le barreau d’une si belle chose et si utile. » Cet homme ne plaide bien qu’à cause qu’il n’a pas le loisir de mal plaider. Quand il a fait un exorde bien ennuyeux, il dit qu’il a fait un exorde à la cicéronienne. Il se croit le plus éloquent, ou plutôt le seul éloquent homme du monde.

Le président de Verdun tourmentoit une fois Desnoyers, afin qu’il abrégeât, et il n’avoit encore rien dit, sinon : « Messieurs, je suis appelant d’une sentence du juge de Chauleraut… — Qu’est-ce que Chauleraut ? dit le président. — Messieurs, c’est pour abréger, répondit-il, c’est-à-dire Châtellerault. » On abrége ainsi en écrivant.

Comme on plaidoit une cause de mariage, dans la déduction du fait on trouva des choses capables d’envoyer en bas celui qui étoit poursuivi. Sur l’heure, selon la coutume, on lui donna un avocat pour conseil ; ce fut Desnoyers. Ensuite on trouva à propos d’envoyer cet homme en prison ; mais quand on s’en voulut saisir, on ne le trouva plus. Le premier président demande à Desnoyers où il étoit : « Il s’en est en allé, messieurs, répondit Desnoyers. — Et pourquoi ? — Parce que je le lui ai conseillé. Vous m’aviez donné pour conseil à cet homme ; je lui ai donné le meilleur conseil que je lui pouvois donner. »

Une fois il étoit chargé d’une cause à la grand’chambre contre l’avocat du Roi des eaux-et-forêts, qui n’étoit qu’un jeune fou ; mais, pour faire l’entendu, il avoit pris une requête civile contre des arrêts rendus, il y avoit soixante ou quatre-vingts ans. Quand ce fut donc