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de ses plaidoyers. Il a quelque chose de bon quand il ne plaide qu’en procureur[1].

On plaida, il y a dix ans, une cause à la Tournelle, dont voici le fait. Un tailleur de Coulommiers épousa une fille qui prit la peine d’accoucher le soir de ses noces. Cet homme la presse de dire qui étoit le père de cet enfant ; elle confesse que c’est son propre cousin-germain. Le mari rend sa plainte, et le procureur du Roi se rend partie. Depuis, cet enfant meurt. On conseille au mari, puisque aussi bien il ne pouvoit pas faire rompre le mariage (et cela me fait croire qu’il avoit couché avec elle, et qu’elle ne se délivra qu’après que le mariage eut été consommé), on lui conseille donc d’exposer par une requête qu’il confesse qu’il s’est joué avec sa femme six mois avant que de l’épouser, mais que comme il pensoit que les enfants ne pouvoient venir à bien à ce terme-là, il n’avoit pas cru que ce fût de lui ; que depuis, l’enfant étant mort, il avoit bien vu que c’étoit qu’il ne pouvoit vivre, étant venu avant le temps, et qu’il reconnoissoit qu’il étoit produit de ses œuvres, qu’il se contentoit de sa femme, et qu’il demandoit que silence fût imposé aux autres parties, car, outre le procureur du Roi, le père de la fille s’étoit joint à son gendre. Martin, surnommé Cochon, il y en a un autre, surnommé Dindon, plaida cette cause pour le tailleur, car le procureur du Roi ne voulut pas donner les mains ; et sur appel, le Parle-

  1. Cet avocat étoit si mordant qu’on l’appeloit Gaultier la Gueule. C’est de lui que Despréaux a dit :

    Je ris quand je vous vois, si foible et si stérile,
    Prendre sur vous le soin de réformer la ville,
    Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
    Qu’une femme en furie, ou Gaultier en plaidant.

    (Satire IX.)