Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment en fut saisi. En déduisant le fait, il dit qu’on ne devoit pas trouver étrange qu’un homme qui voit accoucher sa femme le premier soir de ses noces, se laisse emporter à ses premiers mouvements, et principalement étant persuadé qu’un autre étoit le père de cet enfant ; « car, ajouta-t-il, messieurs, on lui mit cela si avant dans la tête, » et en disant cela il faisoit les cornes avec les deux doigts du milieu et les porta vers sa tête, comme on fait pour marquer l’endroit du corps dont on parle. L’audience se mit à rire, mais le président de Nesmond s’en mit en colère. L’avocat dit encore quelque gaillardise, dont le président s’irritoit de plus en plus. « Enfin, dit-il, messieurs, que voulez-vous ? c’est un pauvre tailleur qui a mal pris ses mesures. » Alors le président fut contraint de rire lui-même. Cependant, admirez le jugement de l’avocat : il faisoit rire à la vérité, mais c’étoit de sa partie. M. Talon, avocat-général, se leva et dit qu’il n’y avoit aucune difficulté ; que, puisque le mari se contentoit, les autres n’avoient rien à dire ; et que, pour la femme, on ne devoit point avoir égard à l’aveu qu’elle avoit fait, car les femmes ne sont comptées pour rien[1] ; « et cela est si vrai, ajouta-t-il, que les rabbins disent, pour montrer qu’elles ne doivent point être considérées, qu’au jour du jugement les femmes ressusciteront dans le corps de leurs maris, et les filles dans le corps de leurs pères, et partant je conclus que les parties soient mises hors de cour et de procès. » Ces conclusions furent suivies.

  1. La sienne pouvoit compter pour quelques chose, car elle le faisoit souvent enrager. (T.)