Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une chanson, cela se seroit découvert avec le temps. Tout le monde croit que M. le comte, en voulant lever sa visière avec le bout de son pistolet, se tua lui-même[1] ; et s’il ne se fût point tué, où en étoit l’éminentissime ? Toute la Champagne, dont M. le comte étoit gouverneur, eût ouvert les portes aux victorieux. Tous les malcontents se fussent joints à lui ; le Roi même eût peut-être été bien aise de se défaire d’un ministre qui lui étoit à charge, et qu’il craignoit. Quand on apprit la nouvelle de la défaite de M. de Châtillon, le cardinal fut cinq heures de temps au désespoir. Il envoya ordre au maréchal de La Meilleraye de laisser l’armée au maréchal de Guiche, et de l’aller trouver avec son régiment de cavalerie, celui de La Meilleraye, et ne se remit que quand on lui vint dire la mort de M. le comte. M. le comte avoit mis dans ses enseignes : Pour le Roi, contre le cardinal ; M. de Bouillon : Ami du Roi, ennemi du cardinal ; M. de Guise, une chaise renversée et un chapeau rouge dessous, avec ces mots : Deposuit potestatem de sede. Depuis, le maréchal fut contremandé. Dans ce combat, le marquis de Praslin, fils du maréchal, eut cent coups après sa mort. On croit qu’il avoit donné parole à M. le comte, et puis lui avoit manqué ; c’étoit un homme de service, mais un méchant homme. Il avoit fait long-temps l’impie ; et pour se remettre en bonne réputation de ce côté-là,

  1. Le prince de Simmeren, de la maison palatine, étoit à Sédan, lorsque M. le comte s’y retira. Étant retourné en son pays, quand la bataille de Sédan fut donnée, il écrivit naïvement cette lettre à M. le comte de Soissons : « Le bruit court ici que vous avez gagné la bataille, mais que vous y avez été tué. Mandez-moi ce qui en est, car je serois très-fâché de votre mort. » M. le comte de Roussi m’a dit avoir vu la lettre. (T.)