Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/406

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« Je ne puis vous aller trouver, car nous vivons ici dans la plus étrange servitude du monde, et nous avons affaire au plus grand tyran qui fut jamais. » Laffemas porte ces lettres au cardinal, qui aussitôt fait appeler Chéret. « Chéret, lui dit-il, qu’aviez-vous quand vous êtes venu à mon service ? — Rien, monseigneur. — Écrivez cela. Qu’avez-vous maintenant ? — Monseigneur, répondit le pauvre garçon bien étonné, il faut que j’y pense un peu. — Y avez-vous pensé ? dit le cardinal après quelque temps. — Oui, monseigneur, j’ai tant en cela, tant en telle chose, etc., etc. — Écrivez. » Quand cela fut écrit : « Est-ce tout ? — Oui, monseigneur. — Vous oubliez, ajouta le cardinal, une partie de cinquante mille livres. — Monseigneur, je n’ai pas touché l’argent. — Je vous le ferai toucher ; c’est moi qui vous ai fait faire cette affaire. » Somme toute, il se trouva six vingt mille écus de bien. Alors il lui montra ses lettres. « Tenez, n’est-ce pas là votre écriture ? lisez. Allez, vous êtes un coquin ; que je ne vous voie jamais. » Madame d’Aiguillon et le grand-maître le firent reprendre au cardinal. Peut-être savoit-il des choses qu’ils craignoient qu’il divulguât. Ce n’est pas que le cardinal ne fût pas terriblement redouté. Pour moi, je trouve que l’Éminentissime, cette fois-là, fut assez clément. Ce Chéret est maître des comptes. Il avoit placé un de ses frères chez le grand-maître, qui, je crois, a fait aussi quelque chose.

Il est temps de parler de M. le Grand[1]. Le car-

  1. Henri Coiffier, dit Ruzé, marquis de Cinq-Mars, grand-écuyer de France.