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LE TENTATEUR.

Nous échappe, ou nous ment ; des douceurs de la terre
Quand sur nous dès long-temps pèse le jeûne austère ;
Quand le monde nous fuit, quand la tiède amitié,
Au cri de nos douleurs s’éveillant à moitié,
Arrachée à regret à sa molle paresse,
Pour l’amour du repos nous plaint et nous caresse,
En faveur de nos maux médite un faible effort,
Puis, si nous nous taisons, oublie et se rendort ;
Quand nous saisit au cœur la fatigue profonde,
Qui nous fait tout-à-coup un désert de ce monde ;
Quand notre front lassé tombe sur nos genoux,
Le tentateur est là, debout derrière nous !
Il parle, et des replis d’un fascinant langage
Nous enlace, pareil au serpent, son image.
« Dis-moi, murmure-t-il, pauvre âme ; que fais-tu
De ce beau dénûment que tu nommes vertu ?
Tu vas, mais où ?… pourquoi ? Pour tout être qui pense,
Point de chemin sans but, d’effort sans récompense ;
Car tu te plains à tort, et souffres à raison,
Toi qui fais de la terre une sombre prison.
Crois-tu des contes vains ? Qu’est-ce qu’un premier homme
Qui vit sa race et lui perdus pour une pomme ?
La peur fut tout son mal : grâce à sa lâcheté,
À celui de là-haut l’avantage est resté.
Dès-lors cet autre et moi nous vivons mal ensemble :
Il veut qu’à son pouvoir nul pouvoir ne ressemble.
Il le veut ! et pourtant à peine de ses mains
Se furent échappés le monde et les humains,
Que de cet univers une moitié fut mienne.
Qu’il me laisse ma part, je renonce à la sienne