Aller au contenu

Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/467

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce français déplut à Levine, à qui tout sembla changé dans la maison de Dolly ; ses enfants eux-mêmes n’étaient plus aussi gentils.

« Pourquoi parle-t-elle français à ses enfants ? C’est faux et peu naturel. Les enfants le sentent bien. On leur enseigne le français et on leur fait oublier la sincérité », pensa-t-il, sans savoir que vingt fois Dolly s’était fait ces raisonnements, et n’en avait pas moins conclu que, en dépit du tort fait au naturel, c’était la seule façon d’enseigner une langue étrangère aux enfants.

« Pourquoi vous dépêcher ? restez encore un peu. »

Levine demeura jusqu’au thé, mais toute sa gaieté avait disparu et il se sentait gêné.

Après le thé, Levine sortit pour donner l’ordre d’atteler, et lorsqu’il rentra au salon, il trouva Dolly le visage bouleversé et les yeux pleins de larmes. Pendant la courte absence qu’il avait faite, tout l’orgueil de Daria Alexandrovna au sujet de ses enfants venait d’être subitement troublé. Grisha et Tania s’étaient battus pour une balle. Aux cris qu’ils poussèrent, leur mère accourut et les trouva dans un état affreux ; Tania tirait son frère par les cheveux, et celui-ci, les traits décomposés par la colère, lui donnait force coups de poing. À cet aspect, Daria Alexandrovna sentit quelque chose se rompre dans son cœur, et la vie lui parut se couvrir d’un voile noir. Ces enfants, dont elle était si fière, étaient donc mal élevés, mauvais, enclins aux plus grossiers penchants !