Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/332

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elle qu’auparavant, et paraissait l’aimer plus tendrement encore, à cause du sentiment mauvais qu’il avait ressenti pour elle pendant son flirtage. Cette aventure avait été pour lui un prétexte à son besoin de sacrifice et d’oubli de soi-même, qui déjà l’avait poussé à renoncer à l’Académie, et lui avait procuré la même joie intérieure, imperceptible.

III

D’abord le prêtre et le paysan allèrent en silence. La route était si inégale que malgré l’allure au pas la télègue était jetée d’un côté sur l’autre, et le prêtre, à chaque instant projeté du siège, se serrait dans sa pelisse. Mais quand ils eurent franchi le bourg, la route étant devenue meilleure, le pope engagea la conversation.

— Alors, ta femme est très mal ? demanda-t-il.

— Je ne pense pas que nous la trouvions en vie, répondit peu volontiers le paysan.

— Le pouvoir de Dieu n’est pas l’œuvre de l’homme. Tout est dans la volonté de Dieu, dit le pope. Que faire ? Il faut supporter ; il faut souffrir.

Le paysan leva la tête et regarda le prêtre en face. Évidemment il voulait dire quelque chose de méchant, mais voyant le visage qui le regardait affectueusement, il se radoucit, hocha la tête et prononça seulement :