Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/103

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en troupe, en telle sorte que, comme les hirondelles, nous traversons les airs sans nous séparer, sans nous disjoindre, sans nous mêler ni au grues ni aux oies, tendant tous du même vol, du même côté, et ne laissant aux éperviers que nos plumes.

La seconde condition, plus rare à rencontrer et plus malaisée à improviser, c’est d’emmener avec soi dans les montagnes, c’est de trouver à côté de soi sur les routes poudreuses, et jusqu’au bout perdu des sentiers les plus escarpés, une dame infatigable, courageuse, aussi incapable de fléchir devant une contrariété que de ne pas être mère, sœur et bon ange de chacun de ses compagnons ; c’est d’avoir pour compagne de voyage la compagne de sa vie ; pour bras droit aussi intelligent que dévoué, un autre soi-même ; c’est d’être deux pour voir, pour sentir, pour jouir, pour aimer et gouverner sa troupe, pour tantôt se confondre à elle, tantôt s’entretenir d’elle, et aussi pour se communiquer ces pensers et ces sentiments que remue le spectacle d’objets grands et nouveaux, pour contempler ensemble cet horizon des choses qui, masqué pour l’enfance, s’ouvre devant la maturité et s’agrandit avec le cours des ans.

La troisième condition enfin, c’est d’être pourvu de quelqu’un de ces goûts plus ou moins sérieux, mais récréatifs, auxquels les voyages à pied offrent une réjouissante occasion de s’exercer librement et sans le contrôle d’une direction docte et méthodique. De ces goûts, le plus désirable, sans contredit, c’est celui de l’observation ; car, pour ceux qui en sont doués, il n’est point de sol ingrat, point de coin stérile, point de solitude ennuyeuse. Mais outre que ce goût-là se cultive partout, sinon d’une manière aussi piquante, du moins aussi librement qu’en voyage, il ne saurait se trouver bien développé déjà chez des philosophes de quinze ans ; aussi la vue de contrées nouvelles est-elle, en ce qui les concerne, moins encore une occasion de l’exercer qu’un excellent moyen de le faire naître. Mais un autre de ces goûts qui est mieux à leur portée, c’est celui de l’histoire naturelle, en quelque degré qu’il soit formé, et à quelque genre d’êtres ou d’objets qu’il se rapporte, insectes, plantes, minéraux, papillons. Pour ceux d’entre eux qui le cultivent, la marche n’est plus besogne, labeur, uniforme préoccupation, mais elle est devenue l’amusante facilité de se porter à droite, à gauche, là où l’insecte bruit, là où le parfum trahit la fleur, là où des débris de rochers font pressentir quelque trouvaille : l’on va de ravin en plaine, de clairière en taillis, d’amusement en trésor, et des journées d’une excessive longueur paraîtraient à cet apprenti naturaliste une trop courte promenade, si heureusement il ne lui restait encore à