Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/104

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compter et à classer ses richesses, à leur trouver une place sûre sous le cuir de son havre-sac, ou, bien mieux encore, dans quelque boîte achetée en chemin, puis consolidée, puis agrandie, puis divisée en compartiments, objet constant d’améliorations, de contentement et d’étroite surveillance. Que si plusieurs dans la troupe sont possédés de cette ardeur scientifique, alors elle se communique aux autres ; chacun fouille les herbes, retourne les pierres, se fait aide, chercheur, trouveur heureux ou habile ; le grand chemin se dépeuple, et c’est non plus une caravane de voyageurs qui marchent, mais une troupe de gais colons faisant une battue et avançant éparpillés. Certes, le chef de cette troupe, alors même qu’il ne participe pas à ces jeux, ne saurait manquer de se plaire au divertissement animé dont ils sont l’occasion ; et si, après tout, son objet à lui, c’est de voir son monde se maintenir à peu de frais en état de perpétuelle fête, l’on peut croire que, de ces joyeux affairés, s’il n’est pas le plus actif, il n’est pas le moins amusé. D’ailleurs lui aussi se fait sa collection non pas de plantes ni d’insectes, mais de vues, de sites, de bouts de terrain ou de forêt, de tout ce que lui offrent à étudier ou à reproduire le mont, la vallée, le hameau, ou, à défaut encore, ces plantes qui penchent sur l’onde jaillissante d’une source, ces arbustes qui couronnent la crête ou qui hérissent le flanc d’un ravin pierreux. Dessiner, croquer, et, ici encore, ajoutons bien vite, à quelque degré que ce soit, médiocrement ou habilement, à droit ou à travers, voilà en voyage le prince des passe-temps. En marchant déjà, l’on regarde, et, observée par ses côtés pittoresques, la nature présente à chaque pas mille beautés simples, mille grâces familières, tout à fait indépendantes des magnificences beaucoup plus rares à rencontrer de site, d’éclat ou de grandeur. Dans les haltes, l’on esquisse, l’on croque, l’on met à profit les instants pour se faire une durable image de l’endroit avec son hêtre, son ruisseau, son clocher, avec les bœufs qui boivent ou avec l’âne qui chardonne. Au logis et dans la salle où l’on attend le beau temps, comme sur les tables où l’on attend la soupe, l’on achève, l’on retouche, l’on perfectionne ou l’on gâte, le tout avec le même amusement, et l’on voit avec orgueil s’emplir son livret, moins de recommandables chefs-d’œuvre, que de charmants ressouvenirs, et d’impressions vivement rappelées ! Sans aucun doute, un goût pareil, qui trouve partout l’occasion de s’exercer, qui, d’accord avec les exigences de la lassitude, demande halte avec elle et vit des loisirs qu’elle lui fait, ne saurait être avantageusement remplacé par quoi que ce soit, et il ne nous appartient pas de méconnaître que, dans nos excursions, nous lui avons dû, non pas les plus vifs, mais