Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/180

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En face, le lac Combal, des plages de gravier, des morraines ici doucement penchées, là horizontalement planes, et au delà des pentes sans nombre qui se rejoignent au fond de l’Allée en arceaux indéfiniment plus doux, plus azurés, plus suaves, jusqu’à ce qu’enfin ils se perdent, noyés dans les vaporeuses clartés des cieux. Quel spectacle ! À la vérité, dans ce moment, les sommités les plus intéressantes, et celle du mont Blanc en particulier, sont voilées ; mais en revanche, et grâce à ce dais de transparentes nuées, tout, jusqu’aux rochers les plus sévères, paraît frais, diaphane, aérien, et quelques rayons égarés qui tombent ci et là sur la tendre verdure d’une prairie lointaine impriment à cette scène, d’ailleurs si auguste, comme le trait de la joie ou comme la délicatesse du sourire.

Aujourd’hui que tant de descriptions ont d’avance défraîchi ces impressions, elles ne sauraient agir avec toute leur puissance sur le touriste qui visite ces contrées. Mais que l’on juge, rien que par cet imparfait tableau que nous venons d’esquisser, de ce que durent ressentir les premiers qui, venus de Genève dans un temps où l’on ne connaissait encore des Alpes que leur lointaine apparence, se trouvèrent soudainement en face d’un spectacle si prochain, si inconnu, si extraordinaire, si sublime ! Émus de plaisir et de ravissement, ils tentèrent d’en donner l’idée, sans se flatter d’en pouvoir rendre la magnificence, et de là les tirades enthousiastes de Bourrit ; de là aussi ces éloquentes pages de De Saussure, où il tâche d’atteindre à la grandeur par la simplicité, au calme et à la majesté par le déroulement harmonieux et paisible de sa période sans pompe descriptive et sans ornement d’apparat. Mais Bourrit fit plus ; sans être artiste de profession ni même amateur exercé, il s’essaya à dessiner et à colorier quelques-uns des sites les plus extraordinaires des hautes Alpes. Ces essais sont intéressants et sous un rapport curieux. On y découvre l’enthousiasme, l’émerveillement, si l’on nous permet de dire ainsi, beaucoup plus que l’habileté de l’auteur ; et, comme il doit arriver, comme il arrive toujours aux premiers qui ressentent, à ceux qui sont relativement plus neufs, plus jeunes, plus poëtes par conséquent en face d’un spectacle quelconque, les couleurs sont, dans ces dessins coloriés de Bourrit, l’hyperbole en quelque sorte de la réalité. L’on voit parfaitement que, surpris et charmé par la vivacité des teintes, principalement dans ce qu’elles présentent d’inaccoutumé ou d’étrange, et laissant de côté ou ne voyant pas même ce qu’elles présentent d’analogue avec celles dont il a l’habitude, il cherche seulement à atteindre, à force de verts brillants, de violets