Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/242

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dernières moelles intellectuelles. Pour les simples et pour les crétins aussi, plus l’imitation est plate et directe, plus elle leur cause de plaisir ; et il ne faut pas se dissimuler que la vue de quatre chandelles en sautoir sur l’enseigne d’un épicier leur procure plus d’artistique jouissance que ne pourrait faire la Vierge de Foligno ou la Communion de saint Jérôme.

Nous gravissons ensuite la vallée pierreuse, nous serpentons entre des masures inhabitées : les herbes folles, les plantes emmêlées recouvrent ici le sol et masquent les décombres. Au sommet, une église, un vieil arbre, une terrasse dernière, d’où le regard plane sur le fleuve et ses îles et ses beaux rivages ; d’où il fuit, d’où il vole de croupe en croupe, d’arceaux en arceaux jusqu’à la lointaine échancrure de la Forclaz. Comme hier et à la même heure, l’orage s’y forme, il accourt ; le vent brise un rameau, la pluie fouette les murailles, et, retirés sous l’auvent caduc d’un portail délabré, nous assistons de là à ce spectacle toujours si attachant des campagnes qui pâlissent, du ciel qui se courrouce, de la nature enfin qui, tout à l’heure calme et resplendissante, frémit de trouble et s’inonde de pleurs.