Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/263

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alpestre, et c’est d’Evolena que l’on a enfin le spectacle d’une étroite et verdoyante gorge où éclate la blancheur d’un glacier qui vient y mourir. Mais les cimes, les arêtes, les pics qui couronnent cette gorge, nous ne les avons pas vus, et nous n’en saurions parler. Si bien que la vallée d’Hérens nous paraît être à l’usage de deux sortes de touristes seulement : d’abord le touriste qu’attachent les contrées point encore fanées par l’haleine du siècle, que charment les traits de bonhomie chez les habitants, de fraîcheur et de simplicité dans le paysage, le touriste bonhomme lui-même, qui songe, tout en marchant, aux contrastes de la destinée humaine, à la valeur des biens et des maux, aux avantages des villes et aux bons côtés des bois, le touriste en un mot qui se plaît partout et là aussi ; et ensuite le touriste entreprenant, audacieux, épris des passages périlleux et avide des scènes sublimes. Celui-là, en effet, en s’élevant sur les traces du guide Falonnier au-dessus de ces hauteurs que nous n’avons pas vues, et en s’aventurant avec lui sur les dômes glacés qui les recouvrent pour venir aboutir le soir du même jour au hameau de Zermatt, aura fait, nous en sommes certain, une des excursions les plus admirables que l’on puisse se proposer de faire au cœur même des grandes Alpes. Il se sera perdu dans ces resplendissants déserts où a disparu le monde et tout bruit du monde, où, face à face avec la brute nature et comme à la merci de ses forces aveugles, il n’est plus que Dieu en qui l’alarme s’adoucisse et le cœur se repose ; il aura vu, tout voisins de lui, et semblables à de menaçantes tours dont la hauteur donne le vertige au passant qui les mesure du regard, les pics étincelants, les cônes argentés, les obélisques dont l’ombre étroite traverse les vagues gelées du plateau pour aller se redresser contre les nues parois du massif opposé ; et au sortir de ces scènes brillantes mais désolées, la réapparition des forêts encore lointaines, des pâturages encore enveloppés pour lui dans la brumeuse obscurité des vallées, lui causeront ces ravissements de plaisir qui sont l’éloquence de la vie qui renaît, de la création où Adam n’est plus seul.

Pour nous, qui ne sommes pas audacieux pourtant, et à qui d’ailleurs il est interdit d’aspirer à ces sublimités d’un trop périlleux accès, voici qu’il nous faut renoncer même à passer le col des Torrents. En effet, la pluie qui a recommencé avec la nuit a détrempé la boue des montagnes, et à huit heures, quand il est déjà tard pour s’engager dans des rampes escarpées, le ciel est encore couvert de nuages, des traînées de paresseuses vapeurs demeurent comme emmêlées à la cime des forêts prochaines. Plutôt que d’hésiter et d’attendre, M. Töpffer renonce donc à passer en