Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beau de vigueur, sain de loyauté, neuf d’allures et de manières. À la fois chef de sa commune, chasseur passionné, guide par occasion il unit à la dignité de magistrat les naïvetés du montagnard et les instincts du tueur de chamois ; de plus, et tout aussi bien que nous, il sait le latin, en sorte que, avec un naturel que nous serions bien embarrassés d’y mettre, il parsème ses propos d’adages scolastiques et d’hémistiches horatiens. Tout ceci, en conduisant son mulet, en surveillant ceux que nous avons emmenés, et en donnant à l’un de nos guides qui s’est montré jaloux d’apprendre à trouver son chemin, des renseignements nets, précis, pittoresques sur la topographie des rampes et des mamelons, sur la direction des sentiers et des cours d’eau.

Ce guide, c’est Rayat le bleu, une sorte de bon enfant qui déjoue, à force de gaie humeur et de contentement sans cause, tous les mauvais tours que lui a faits la destinée. Pauvre, laid, boiteux, il a de plus la contrariété d’être expansif sans idées et babillard sans parole. Tout au moins la partie intelligible de son langage s’engouffre-t-elle dans des crevasses nasales à chaque mot qu’il a l’intention d’articuler, et ce n’est qu’au bout de deux jours d’assidu commerce que nous parvenons à comprendre qu’en criant incessamment à son mulet : « H… h… hilen, h… h… h…