Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/270

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hilen, » c’est, par absorption de l’f et par nasillement du gouffre : File ! file : que le pauvre homme veut dire.

L’autre guide, frère de celui-là, c’est Rayat le vert, ragot, cambré, ployé dans sa veste, enfoui dans son pantalon, et qui porte sous son bras un parapluie bien plus haut que lui, mais pas si triste. Cet homme fonctionne à regret ; il vit, il parle, il avance à son corps défendant, et, les yeux fixés sur les cailloux du chemin, il a l’air de s’en prendre à eux des mélancolies qui le travaillent. Doué d’un organe vocal, il n’en use que pour s’adresser à lui-même des grognements indistincts, et quand il serait à même de soulager ses tristesses en leur donnant essor, il clopine fermé comme une armoire, muet comme un poisson et rechigné comme un singe en cage. Du reste, le meilleur homme du monde, sauf qu’au lieu de guider il marche bien loin derrière le dernier des traînards, et ne prête jamais son parapluie qu’à lui seul.

Ces deux frères si peu semblables gouvernent deux mulets bien divers. L’un, celui de Rayat le bleu, est traître, rusé, toujours prêt à lancer des ruades à la face des gens dès que son maître ne lui tient pas la queue. Aussi a-t-il pour sobriquet Joude, qui en patois du Valais signifie Judas. L’autre, celui de Rayat le vert, est débonnaire, pacifique, l’oreille bran-