Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/272

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ture serait impossible sans le concours du mulet, qui seul peut y transporter sur son dos la charrue et la herse auxquelles ensuite on l’attelle.

À l’heure où nous passons, les villages sont absolument déserts ; mais ces bandes de terre sont animées par le mouvement des familles qui y travaillent à l’envi, formant ainsi un spectacle de labeur rude à la vérité, mais sans aggravant alliage d’isolement, de souffrance ou de misère envieuse. Ces gens, en effet, sont égaux en pauvreté et en sueurs ; ils sont libres de joug, ils sont exempts d’impôts ; et après avoir travaillé six jours sur leurs rampes, à la vue les uns des autres, au grand air, soumis aux mêmes conditions d’intempérie ou de sérénité, le septième, ils observent doucement le commandement du Décalogue, tantôt réunis dans leurs chaudes cabanes entre l’étable et le fenil ; tantôt, quand le soleil illumine la vallée, ou bien solitairement épars sur leurs hauteurs, ou bien assis en ligne et les pieds pendants sur le rebord de leurs champs en terrasses. Là ils devisent, et comme nous, et plus que nous, sur hier et sur demain, sur qui a tort et qui a raison, sur les choses de ce revers et sur celles de l’autre, sur le dedans qui est leur vallée, et sur le dehors qui est Sion la grande ville, et tout au loin le dixain remuant de Martigny. Que de propos ! En attendant le jour s’écoule, la soirée fuit, et l’approche de l’aube