Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adepte de notre illustre concitoyen ; mais surtout, enfant comme lui d’une république qui n’a vécu et qui ne vivra que par sa foi et par ses mœurs, nous avons trop bien vu s’accomplir de notre temps, sous la délétère influence d’un théàtre étranger aujourd’hui entièrement acclimaté dans nos murs, tous les funestes résultats qu’avait prédits ce fier et vigilant républicain, pour que, appliquée à notre pays, cette question ne soit pas à nos yeux pleinement, péremptoirement résolue. Oui, malheur aux petits peuples qui n’ayant pas, ne pouvant pas avoir une scène nationale, empruntent à de puissants voisins leurs histrions et leur théâtre, et importent au milieu d’eux, avec les mœurs de troupe et de coulisse, l’habituel spectacle d’affections, de préjugés, de sympathies, de préventions qui ne leur appartiennent pas en propre, et qui devaient leur demeurer à jamais étrangers ! Malheur aux républicains qui n’ayant pas, ne pouvant pas avoir une tragédie saine, nationale et religieuse comme le fut la tragédie grecque, appellent dans leur cité, pour y être versés et offerts à leurs familles, les poisons de ce poëme, tantôt impur, tantôt dévergondé, presque toujours moqueur de l’honnête et flatteur du vice, qu’on appelle comédie, drame, vaudeville ! De leur républicanisme, ils n’ont plus que le nom ; de leur dignité de peuple, plus que le souvenir ; de leurs mœurs, plus rien ; et, au lieu d’avoir été les libres adeptes du citoyen auquel ils élèvent des statues, ils n’auront été que les complaisants de Voltaire et les dupes de d’Alembert.

À coup sûr, nul plus que nous n’apprécie, n’honore les chefs-d’œuvre de la scène, et si c’est d’art, si c’est de littérature qu’il s’agit ici, rien, non, rien dans les ouvrages des hommes ne nous cause un plaisir plus vif, une admiration plus sentie et plus reconnaissante que les immortelles compositions d’un Molière et d’un Shakspeare : ce sont là les palmes du génie et les couronnes de l’esprit humain ! Mais que s’agit-il d’art, de grands hommes, ou même de cette élite des chefs-d’œuvre dramatiques dont l’on peut dire, nous en convenons, que, malgré de blâmables maximes ou d’équivoques exemples qui s’y rencontrent, ils seraient propres encore à assainir les esprits et à former la raison publique ? Il s’agit d’action religieuse et morale exercée sur les sociétés ; de tréteaux permanents, où tout poëte, même le plus dénué de respect pour ses semblables ou pour lui-même, sous prétexte de présenter aux hommes une image de la vie, jouit en fait du privilège de diriger leur raison, d’agir sur leur cœur, de décider de leurs affections et de leurs antipathies, de leurs opinions et de leurs règles de conduite ; il s’agit d’une école où le peuple