Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/429

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Pendant que M. R*** tient ces éloquents discours, le reste de la caravane s’est divisé en plusieurs détachements qui sont échelonnés sur une lieue de pays. Un chasseur encore, mais un chasseur brigandeau celui-ci, aborde l’un après l’autre ces détachements, et, le fusil au poing, il leur tient toute une gamme de propos appropriés à la force respective de chacun d’eux. Avec les brimborions, il lui faut un franc, et vite ; avec les détachements moyens, il insinue poliment qu’il serait plus sûr de lui donner un franc, sans quoi… Avec les détachements vigoureux, c’est une femme, sept enfants, un incendie ; il est appréhendé, ruiné, perdu, si les charitables messieurs n’ont pas pitié de sa misère. Par un procédé si simple, ce brave homme se fait trois francs environ d’argent blanc ; après quoi il lève le pied, et, crainte de noise, prend par les bois.

Au crépuscule, on arrive à la Chambre, et le peuple s’attroupe pour nous regarder faire ; c’est notre histoire de tous les soirs. Parmi la société se trouve un crétin sourd-muet qui contrefait, en façon d’explication sommaire, tout ce qu’il nous arrive de faire. Il arrive, il décharge les sacs, il dételle les chevaux ; puis, à la vue d’un lièvre que l’on prépare pour notre souper, il court, aboie, ajuste, tire, meurt, écorche, cuit… et puis s’arrête là : nous nous chargerons du reste. Rien d’heureux en général comme ces demi-crétins, d’une part déchargés de travail à cause de leur gaucherie, d’autre part flâneurs, musards, et qui se délectent à tout bruit, à tout mouvement, à tout spectacle. Calmes d’habitude, joyeux