Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/564

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d’une belle maison qui s’élève isolée sur la lisière d’un bois. « Point de place, messieurs, nous dit l’hôtesse, je n’occupe que le bas de la maison, et tous mes lits sont retenus. — Eh bien, donnez-nous de la paille. — Je ne saurais où la mettre, mes bons messieurs ; ainsi hâtez-vous de poursuivre votre chemin, vous trouverez un gîte à deux lieues d’ici. » Là-dessus, l’hôtesse ferme sa porte, et déjà nous nous disposons à suivre son conseil, lorsqu’un monsieur qui était à prendre le frais à deux pas de la maison s’approchant de M. Töpffer : « Ces jeunes gens, lui dit-il, sont fatigués. Veuillez, monsieur, monter avec moi. » M. Töpffer se laisse alors conduire jusque dans l’appartement supérieur, qui est grand, confortable et meublé avec luxe. « Vos messieurs, reprend l’inconnu, couchent à deux, n’est-ce pas ? Voici ma chambre. En voici une autre. Je vous ouvrirai mon salon. Veuillez me faire le plaisir de vous contenter de ce logement que je mets à votre disposition. » M. Töpffer se confond en remercîments. « Je vous en prie, monsieur, brisez là-dessus. J’ai voyagé ; mon offre est toute naturelle. » Il s’éloigne alors, et nous ne le revoyons plus.

N’est-ce pas la peine, lecteur, de faire cent lieues, d’éprouver bien des fatigues et bien des privations, rien que pour courir la chance de rencontrer l’aubaine d’une hospitalité si noble, si simple, si dégagée à la fois et d’embarrassantes instances, et de vaniteux empressement ? Ah oui sans doute, car si, d’une part, c’est à ces rencontres que le cœur goûte un pur et entier contentement, d’autre part, c’est en reconnaissant qu’elles ne sont point rares qu’il apprend à aimer les hommes et à croire aux bonnes qualités de notre espèce, deux sentiments excellents qui sont en tout temps un germe de bienveillance et une source salubre de consolation, de douceur et d’équité. Pour nous, tant que nous nous sommes borné à interroger les philosophes sur ce qu’il en est de notre espèce, nous n’avons su qu’osciller misérablement entre deux doctrines également funestes, celle de Rousseau et, osons le dire, celle de Pascal ; celle que l’homme est naturellement tout bon, et celle que l’homme est naturellement tout mauvais ; en telle sorte que sur un point qui est pourtant si essentiel, si décisif pour la conduite de la vie, et auquel se rattachent intimement la plupart des principes de morale personnelle, nous ne savions que passer à l’égard de nos semblables d’une niaise estime à un stérile et desséchant mépris. Mais une fois affranchi de ce joug qu’impose le génie aux esprits encore peu formés, et quand les circonstances nous ont eu mis annuellement en contact avec des hommes de toute sorte, de tout pays et de toute condition, l’estime, tout en se tempérant, s’est