Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortifiée, et le mépris, remplacé le plus souvent par la compassion, a disparu sans retour. Ah ! le beau gain pour le bon sens, pour le cœur, pour l’âme tout entière, et combien dès lors nous avons jugé avec plus de rectitude, aimé avec plus de confiance, compris aussi avec plus de clarté que le bon, puisqu’il est accessible aux autres, est accessible à nous-même, et que c’est à le poursuivre dans soi comme à l’honorer dans autrui que doit s’employer la vie !

Et pourtant j’aime, je vénère cette amertume religieuse de Pascal ; aujourd’hui que je ne m’en fais plus comme autrefois une triste doctrine, j’y recours constamment pour nourrir mon âme d’humilité, pour connaître, guidé par ce maître, jusqu’où va la faiblesse de ma nature, pour m’abreuver à cette sublime mélancolie dont il soulève et remue le flot avec tant de puissance ! À lui le don d’attacher d’abord pour ébranler après, pour secouer, pour déraciner même ; et c’est bien pourquoi, aux intelligences trop faibles, ou encore aux âmes à la fois sombres et passionnées, la lecture de Pascal peut devenir dangereuse bien plutôt qu’utile, ou seulement indifférente.

Pour Rousseau, bien rarement aujourd’hui j’y ai recours. Je trouve trop de faux dans sa doctrine et trop d’emphase dans son éloquence ; sa façon d’envisager l’homme, plus encore que celle de Pascal, me mécontente et me répugne comme n’ayant que la factice autorité d’une thèse improvisée, que la fragilité d’un sophisme d’opposition ou de circonstance. Mais pourrais-je oublier jamais que c’est ce sincère et vigoureux champion du spiritualisme qui a été pour moi, à l’âge des ébranlements de croyance et des témérités d’esprit, le bouclier sauveur contre lequel frappaient sans me toucher les flèches empoisonnées de Voltaire, de Diderot, de toute cette phalange brillante et valeureuse de matérialistes déterminés ! Oh ! non sans doute, car c’est là un éclatant bienfait dont l’influence se projette sur la vie entière, et jusqu’à son dernier jour l’on doit être reconnaissant envers l’écrivain qui fut assez fort pour maintenir en vous le principe de toute moralité élevée, de tout noble perfectionnement, de tout consolant espoir ; celui-là seul sur lequel, temporairement disparues, les croyances chrétiennes ne tardent pas à revenir s’implanter et refleurir à toujours !

Mais, il y a plus, un autre avantage dont nous avons été redevable à Rousseau, et non pas certes à Pascal, c’est celui d’avoir entrevu de bonne heure que si le mépris de l’espèce humaine, toujours lié au mépris de soi-même, est une doctrine avilissante et corruptrice que corrigent bien