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tenais mon souffle pour mieux jouir du spectacle qui s’offrait à moi.

Au chevet d’un vieillard pâle et souffrant, je la voyais pieuse, recueillie, embellie de tout l’éclat que prêtait à sa jeunesse et à sa fraîcheur cet entourage de maladie et de vieillesse. Elle baissait ses belles paupières sur le livre de mon oncle, où elle lisait les paroles de consolation. Quelquefois, s’arrêtant pour laisser reposer le malade, elle lui soutenait la tête, ou lui prenait affectueusement la main, le considérant avec une compassion qui me paraissait angélique.

— Heureux mourant ! disais-je. Que ses paroles doivent lui être douces, et ses soins pleins de charme !… Oh ! que j’échangerais ma jeunesse et ma force contre ton âge et tes maux !

Je ne sais si je fis ces réflexions tout haut, ou si ce fut un pur effet du hasard ; mais en ce moment la jeune fille, s’interrompant, leva la tête et regarda fixement de mon côté. J’en fus troublé comme si elle eût pu me voir dans la nuit où j’étais ; et, ayant fait un mouvement en arrière, je tombai, emmenant avec moi la chaise, la table, Grotius et Puffendorf.




Le vacarme fut grand, et je restai quelque temps étourdi par la chute. Au moment où j’allais me relever, mon oncle Tom parut, un bougeoir à la main.

— Qu’est-ce, Jules ? me demanda-t-il effrayé.

— Ce n’est rien, mon oncle… c’est… ici au plafond… (mon oncle jeta les yeux sur le plafond). Je voulais suspendre… (mon oncle jeta les yeux tout alentour, pour voir quelque chose à suspendre)… et puis, pendant que… alors je suis tombé… et ensuite… je suis tombé.