Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/273

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— Ah ! ah ! pauvre, obscure et belle ! C’est, je vois, une niaiserie dans les règles.

— Niaiserie ! Parbleu non, mon parrain, je vous l’assure !

— Ne plaisantons pas !

— Croyez que je n’en ai nulle envie.

— Hé ! laisse donc ! Placé comme tu l’es, riche, de bonne famille, aller songer à une créature sans nom et sans fortune !… On peut avoir avec de telles personnes une liaison, mais on ne les épouse pas.

Ce propos de mon parrain, qui me semblait outrager la jeune fille dont la timide pudeur m’avait surtout ému, me mit hors de moi. En même temps qu’il réveillait dans mon cœur ces vifs sentiments qui l’avaient fait battre la veille, il y faisait naître le mépris pour un vieillard qui, ne trouvant d’estime et de louange que pour la richesse et pour le rang, semblait méconnaître les charmes sacrés de l’innocence, et comme m’inviter à les profaner sans remords. — Mon parrain, lui dis-je avec feu, vous outragez une jeune fille aimable et vertueuse… une enfant plus pure que vous ne pouvez le croire, plus digne de respect que celle que vous proposez à mon choix, et mille fois plutôt je l’épouserais que je n’irais la flétrir !…

— Eh bien, ne la flétris pas ; mais épouse l’autre.

— Pourquoi, si je n’ai pas d’affection pour elle, si mes penchants me portent ailleurs ? Vous alléguez mon rang, je m’y ennuie ; ma richesse… elle devrait, ce me semble, servir à me rendre plus libre qu’un autre dans le choix d’une épouse. Quoi donc ! si j’avais rencontré dans cette personne sans fortune et sans nom, dans cette fille dédaignée, dans cette créature enfin, la beauté, la vertu, et mille qualités aussi dignes de mon respect que de