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plutôt qui n’ont pas une face humaine. Pour lui, sans s’émouvoir de mes injures : — On verra voir, murmurait-il en se retirant tout doucement. On vous déliera assez !… Puis, doublant le pas, il disparut au tournant du sentier. Je l’accompagnai de mes malédictions.

Je ne savais que penser ni que faire. Ma situation me semblait aggravée par ce que j’avais dit à cet homme, qui pouvait me compromettre auprès des contrebandiers, si encore il n’était pas lui-même un affilié de la bande. Aussi mon imagination commençait-elle à s’assombrir singulièrement : et, sans les ébats de deux écureuils qui m’offrirent quelque sujet de distraction, j’aurais été fort malheureux. Ces jolis mais timides animaux, se croyant seuls dans les bois, y jouaient avec cette libre aisance et cette grâce de mouvements que tue la crainte, et, se poursuivant d’arbre en arbre, ils me surprenaient par l’agilité de leurs sauts et par l’élégante gentillesse de leurs manœuvres. Comme je faisais corps avec le mélèze, l’un d’eux descendit étourdiment le long de ma personne, pour escalader un arbre voisin, sur lequel l’autre le poursuivit de branche en branche jusqu’à la cime. Tout à coup ils demeurèrent immobiles, comme d’un commun accord ; ce qui me fit conjecturer que, de là-haut, ils voyaient quelqu’un s’approcher.

Je ne me trompais point. Un gros homme parut, suivi du naturel à la forêt noire. Ce gros homme avait trois mentons, une face de pleine lune, l’œil petit et malheureusement très-prudent, un chapeau à cornes et un habit à queue. Quand il m’eut aperçu, il se constitua en état d’observation. — Qui êtes-vous ? lui criai-je ;

— Le syndic de la commune, répondit-il sans avancer d’un pas.