Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/311

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penché en avant ; mais cela suffisait à la tranquilliser un peu. Bazarof essaya de se lever lorsque le jour eut paru ; il fut pris d’un étourdissement bientôt suivi d’un saignement du nez et ne tarda pas à se recoucher. Vassili Ivanovitch l’assistait en silence ; Arina Vlassievna s’approcha et lui demanda comment il se sentait. « Je me trouve mieux, » répondit-il en se tournant du côté du mur. Vassili Ivanovitch fit signe des deux mains à sa femme de se retirer ; elle se mordit la lèvre pour ne point pleurer, et sortit. Tout parut s’obscurcir en quelque sorte dans la maison ; toutes les figures s’allongèrent ; un silence étrange régnait jusque dans la cour ; on relégua au village un coq criard que ce procédé dut singulièrement surprendre. Bazarof continuait à rester couché, la figure tournée du côté du mur. Vassili Ivanovitch lui adressa plusieurs fois la parole, mais ses questions fatiguaient le malade, et le vieillard resta immobile dans son fauteuil en se tordant les doigts de temps en temps. Il allait pour quelques minutes dans le jardin, et y demeurait immobile comme une statue ; il semblait sous le coup d’un étonnement inouï (l’expression de la surprise ne quittait presque point sa figure) ; puis il retournait vers son fils, en cherchant à éviter sa femme. Elle réussit enfin à le saisir par la main et lui demanda convulsivement, presque d’un ton de menace : « Qu’a-t-il donc ? » Vassili Ivanovitch, pour la rassurer, essaya de sourire, mais, à sa propre stupéfaction, ce fut un éclat de rire qui partit de ses lèvres.