Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/538

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pie, les maisons se louent chèrement. Si le commerce n’y fleurit pas, si l’on n’y trouve point à vivre en raison de son travail, les hommes et les capitaux mobiliers vont ailleurs ; les loyers baissent, quelquefois ad point que l’entretien des maisons devient à charge, et qu’on les laisse tomber : de sorte qu’il n’y a de ruinés que les propriétaires de maisons, les seuls de la ville qui ne puissent pas transporter leurs richesses dans un autre lieu. Si la concurrence des habitants rend les loyers chers, les terrains propres à bâtir acquièrent un grand prix. Si les maisons ne trouvent pas de bons locataires, la valeur du terrain diminue ; et quand personne ne veut y demeurer, cette valeur se réduit à la faculté productive que le sol cultivable peut avoir. C’est donc toujours aux propriétaires de maisons et de terrains des villes que les affaires de ces villes importent spécialement ; c’est donc à eux à former spécialement les municipalités urbaines.

Mais pour déterminer entre eux les voix de citoyen, de manière qu’elles eussent une parité réelle avec celles des citoyens de campagne (car il n’est ni juste ni utile que l’urbain soit mieux traité que le rustique), il ne faudrait pas accorder la voix à 600 livres de revenu en loyers de maisons. Le propriétaire d’une maison louée 600 livres est beaucoup moins considérable dans l’État que le propriétaire d’un champ loué 600 francs. Une maison est une sorte de propriété à fonds perdu. Les réparations emportent chaque année, et tous les ans de plus en plus, une partie de la valeur ; et au bout d’un siècle, plus ou moins, il faut rebâtir la maison en entier. Le capital employé à la première construction, et ceux qui ont été surajoutés pour l’entretien, se trouvent anéantis. Le risque du feu rend même, en général, cette révolution plus courte. Le champ, qui ne demande pas le même entretien, et qui n’est pas sujet aux mêmes accidents, garde à perpétuité sa valeur. Il ne peut souffrir que des mêmes révolutions qui affectent l’État entier. Son maître est citoyen tant que la patrie dure. Le possesseur de maisons dans les villes n’est que citadin. Le propriétaire du champ de 600 livres de revenu peut à toute force, et dans les plus grandes calamités qui lui feraient perdre ses cultivateurs, devenir cultivateur lui-même, se retirer sur son domaine, et y faire subsister de son travail sa famille citoyenne. Le propriétaire de maisons réduit à n’avoir point de locataires, forcé d’habiter lui-même chez lui, y mourrait avec sa famille, s’il n’avait point de revenu d’ailleurs.